Le système des primes à la RATP : très opaque et très… généreux. Même la Cour des Comptes s’y perd

La RATP est une habituée des rapports de la Cour des Comptes. Notoirement mal gérée, régulièrement épinglée pour les avantages peu justifiables dont ses salariés disposent, la régie des transports parisiens fait régulièrement l’objet des critiques de la Cour.
Néanmoins, c’est la première fois que l’institution analyse d’aussi près le système de primes de la RATP, avec une minutie qui permet de révéler de véritables perles.
L’IREF s’est penché sur ce rapport de plus de 100 pages, paru le 25 janvier et intitulé “La gestion des ressources humaines de l’EPIC RATP”.

Rappelons d’abord que l’Établissement public industriel et commercial (EPIC) qu’est la Régie autonome des transports parisiens (RATP), est avant tout un organisme en grande partie financé par l’argent public.
La RATP dispose ainsi de 2,4 milliards d’euros de ressources tarifaires (abonnements, achat de tickets) et de 2,1 milliards d’euros d’argent issu des impôts : cette somme lui est versée par Ile-de-France Mobilités, qui gère la totalité des transports en commun de la région.

Sommaire

– Ce sont bien les impôts qui payent les primes touchées par les agents de la RATP.

– 21 primes sont versées hors de tout contrôle comptable

– Une prime accordée aux soudeurs pour…souder !

Ce sont bien les impôts qui payent les primes touchées par les agents de la RATP.

Selon la Cour des Comptes : “Le dispositif indemnitaire de la RATP est d’une extrême complexité́, au point qu’il est difficile d’en connaitre l’exhaustivité́”.

La CDC dénombre pas moins de 311 primes, dont certaines ultra-complexes. Au total, le coût total de ces primes est de 344 millions d’euros pour l’année 2018.

La complexité du système de primes ne repose pas seulement sur le nombre de primes existantes : le mode de calcul en lui-même est incompréhensible selon la Cour des Comptes. Elle précise ainsi qu’aucun document comptable ne rassemble la totalité des primes, ce qui rend difficile leur suivi.

Autre difficulté : l’absence de mise à jour des logiciels comptables, c’est-à-dire que mêmes si certaines primes sont supprimées sur le papier, dans les faits, elles ne sont pas supprimées des logiciels de paye et de gestion des ressources humaines.

Inversement, la création de nouvelles primes ne s’accompagne pas rapidement de la création des codes informatiques correspondants, les gestionnaires étant conduits à utiliser des systèmes de contournement. Ainsi, le code IW2 (« primes diverses ») est fréquemment utilisé, représentant près de 12 M€ en 2018 pour 44 425 agents, sans que l’on sache réellement à quoi ces “primes diverses” correspondent. Plus que difficile à comprendre, le système devient opaque.

21 primes sont versées hors de tout contrôle comptable

La Cour va même jusqu’à dénoncer le fait que certains managers, DRH et gestionnaires de paie n’y comprennent plus rien. “Il n’est donc pas surprenant que les personnels, tant ceux qui saisissent les primes que ceux qui les perçoivent, aient du mal à comprendre le dispositif, voire à en contrôler les sommes versées et perçues”, note l’institution. Un dysfonctionnement grave, car il signifie que des primes sont versées sans le contrôle des directions.

Encore plus grave, 21 primes sont versées hors de tout contrôle comptable : elles ont un code, mais qui n’est référencé nulle part, c’est-à-dire que l’on connaît leur nom, leur montant, le nombre des agents qui les ont touchées, mais sans qu’aucun document ne vienne expliciter le versement ou le justifier dans un cadre défini et transparent.

Pour ces 21 primes, la Cour indique que les codes correspondant ne sont référencés dans aucun fichier, et qu’aucune explication n’a pu être apportée. Pourtant, elles représentent 1,2 Millions d’euros, et ont été versées à 2 540 agents.

D’autres primes encore sont toujours versées alors qu’elles n’ont plus lieu d’être, comme celle récompensant l’utilisation d’un terminal d’ordinateur. Mise en place au début des années 90, au moment de la transition informatique, cette prime avait été classée hors d’usage en 1996. Pourtant, 22 ans plus tard, 145 agents continuent de la percevoir pour un total de 56 000 euros, soit 386 euros par personne.

Autre cause de la multitude de ces primes : le système RH n’est pas centralisé. Chaque département de l’entreprise, voire certaines unités opérationnelles, ont toute latitude pour verser des primes aux salariés de leur service.

L’exemple retenu par la Cour est celui de la prime de qualification-pénibilité (PQP), attribué à tous les opérateurs (34 576 salariés), pour un montant total de 41 millions d’euros. Mise en place au début des années 2000, cette prime unique visait à remplacer la multitude de primes “à l’acte”, en simplifiant les calculs.

Une prime accordée aux soudeurs pour…souder !

Mais l’objectif n’est pas atteint, puisque cette prime compte 1900 taux différents, soit un coefficient d’un taux pour 18 agents. Censé aboutir à la disparition des primes à l’acte, la PQP se retrouve finalement superposée à celles-ci. Ainsi, dans le département de la “maintenance roulant ferroviaire”, les opérateurs perçoivent 6,3 millions d’euros de prime qualification pénibilité, tout en touchant également 500 000 euros de prime à l’acte.

Ensuite, les agents peuvent aussi toucher les primes pour le simple fait de… faire leur travail. Par exemple, il existe une prime d’anomalie technique. Un agent de maintenance, dont la tâche est précisément de déceler les défauts, peut toucher une prime selon l’anomalie découverte : un châssis cassé, un essieu fissuré…La prime regroupe 234 cas de figure, pouvant donner lieu à plusieurs taux selon l’agent concerné.

Certains agents sont donc primés en contrepartie d’un travail qui fait partie de leur fiche de poste, et qui est déjà rémunéré par le salaire de base : certains soudeurs touchent ainsi une prime pour…. réaliser des soudures.

La Cour des Comptes conclut donc : “Il est clair que de nombreuses primes sont versées par erreur et que les montants en jeu ne sont pas négligeables, notamment sur le plan individuel. Il devient urgent que la RATP mette à jour l’ensemble des codifications et crée une procédure de contrôle sur les primes versées”. Il est temps que la RATP se transforme et la concurrence arrive.

Source : IREF