Immigration de travail : Le patronat français sort enfin de sa réserve

La législation sur l'immigration : une prise de position tardive du secteur privé

Après une longue période de silence, Patrick Martin, le dirigeant du Medef, a finalement exprimé son opinion, stipulant que l'économie française aura un besoin considérable de travailleurs étrangers dans les années à venir. La faible immigration de travail est une question qui revient souvent en France, même si l'Italie de Giorgia Meloni change également de cap sur ce sujet.

Par Renaud Honoré

Le compte à rebours était presque terminé. Tôt mardi matin, juste avant la réunion de la commission mixte paritaire concernant le projet de loi sur l'immigration qui allait définitivement enflammer le paysage politique, Patrick Martin, le président du Medef, a décidé de provoquer une controverse.

"Ce n'est pas un appel des chefs d'entreprise pour une immigration massive, mais plutôt une nécessité économique", a clarifié le dirigeant du syndicat des employeurs sur Radio Classique. Selon lui, "d'ici 2050, à moins de repenser notre système social et notre modèle économique, nous aurions besoin de près de 3,9 millions de travailleurs étrangers".

"Un thème délicat"

Cette déclaration survenait après plusieurs mois de silence médiatique concernant le sujet de la part des employeurs. "Cette réserve était une position délibérée. De nombreux aspects du projet de loi vont au-delà de la compétence du Medef. De plus, voir les employeurs plaider pour l'immigration économique peut provoquer des réactions hostiles et avoir des conséquences nuisibles", explique un de ses responsables.

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Le même sentiment est partagé par la CPME. "Nous avons gardé une certaine réserve dans nos propos, craignant d'être utilisés par l'un des camps. La question de l'immigration est compliquée et nécessite une décision politique nationale, ce n'est pas du ressort des chefs d'entreprise", explique François Asselin, le président de l'organisation qui représente les PME, dans une interview aux "Echos".

Moqueries dans l'arène politique

Cette prise de conscience tardive a provoqué des moqueries dans l'arène politique. Le président de la commission des Lois à l'Assemblée nationale, Sacha Houlié (Renaissance), a exprimé ce mercredi son étonnement face à ces dirigeants d'entreprises qui sont restés silencieux pendant 18 mois, tout en nous fournissant des dossiers dans nos bureaux pour normaliser la situation de leurs employés.

En ce qui concerne le maire Les Républicains de Cannes, David Lisnard, il a publié un message sur X critiquant sévèrement "l'immigration comme outil de soutien pour les employeurs" avec des tonalités marxistes. Ce commentaire n'a pas contribué à augmenter sa popularité parmi la communauté des affaires, notamment parce qu'il n'avait pas fait grande impression lors d'une récente entrevue avec l'Afep, l'association des grandes entreprises.

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Il y a plusieurs facteurs qui ont conduit à ce revirement de situation du Medef, décidé par ses autorités. Certains pensent que cette déclaration met un terme aux rumeurs d'une indulgence croissante du monde des affaires envers le Rassemblement national, selon un cadre dirigeant. Les organisations d'employeurs doivent composer avec des PME dont les dirigeants peuvent être attirés par un vote pour Marine Le Pen, mais en réalité, c'est moins l'immigration que l'influence croissante de l'Etat qui les incite à le faire, selon un vétéran du monde économique.

Intensification des controverses

La communauté des affaires se préoccupe particulièrement de l'intensification de la controverse entourant l'immigration. Ce n'est pas tant la question de la légalisation des travailleurs sans documents, qui a pourtant alimenté les débats au Parlement. "Un sujet délicat, mais de moindre importance à notre avis", a souligné Patrick Martin. Ce mercredi, la Première ministre, Elisabeth Borne, a déclaré que le texte adopté permettrait de doubler le nombre de légalisations par an, passant de 10.000 à 20.000, sans donner de détails sur les bases de ces nouvelles projections.

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Par contre, le sujet de l'immigration liée à l'emploi – qui ne constituait en 2022 que 16% des visas accordés en France – suscite de sérieuses préoccupations, tandis que le pays se prépare à faire face à un vieillissement rapide de sa population.

Patrick Martin a déclaré que le nombre de personnes travaillant en France commencera à chuter à partir de 2036. Il a souligné la difficulté de recruter des ingénieurs, ce qui nuit à la compétitivité du pays. Il a également mentionné le secteur des soins à domicile, où environ 800 000 postes doivent être pourvus d'ici 2030. Bien sûr, l'objectif principal est d'attirer ceux qui ont du mal à trouver du travail. Cependant, il a suggéré que nous devrions envisager d'attirer des travailleurs de l'étranger.

Compétition européenne

Un document de 2021 émanant du Conseil d'Analyse Économique avait déjà mis en évidence les défis auxquels la France est confrontée en ce qui concerne ce sujet. Le pays a opté pour l'attraction d'une immigration à faible qualification, peu diversifiée et en petit nombre. Ce thème n'est pas largement abordé dans le projet de loi, sauf par l'introduction d'un permis de séjour pour les talents, qui est restreint à quatre ans et exclusivement destiné aux titulaires d'un diplôme de niveau master ou plus.

Il semblerait que les dirigeants d'entreprises en France soient préoccupés par la compétition croissante en matière d'immigration professionnelle en Europe. Il est envisagé que l'Allemagne instaure un système de restrictions basé sur un système de points, semblable à celui en vigueur au Canada.

La leader de l'extrême droite italienne, Giorgia Meloni, a récemment fait une volte-face impressionnante sur une question particulière. Sous l'influence des chefs d'entreprise, elle a donné son accord cet été pour l'émission de 452 000 nouveaux permis de séjour afin de répondre à la demande de travailleurs. "Il est étonnant de constater que l'Italie fait preuve d'une plus grande maturité que la France sur cette question" , note un responsable du Medef.

Honoré Renaud

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