Une étude publiée par l’ONG Oxfam le 25 janvier et largement reprise dans les médias dénonce le « virus des inégalités ». Si l’étude pose la question des millions d’individus dans le monde qui sont tombés dans la pauvreté du fait de la crise économique liée au Covid-19, Oxfam emploie des raisonnements fallacieux et manipule les statistiques. On comprend que le but de ces chiffres chocs est de marquer les esprits mais cela est fait au détriment de l’honnêteté intellectuelle. Par ailleurs, certaines contre-vérités affirmées dans le rapport sont répandues dans le débat public et nécessitent donc une clarification.
Si l’on considère l’aspect économique de l’étude (une partie étant dédiée aux inégalités de « genres » et de « races »), Oxfam présente deux chiffres clés en tête du rapport. L’ONG affirme que « Les 1000 milliardaires les plus fortunés ont retrouvé le niveau de richesse qui était le leur avant la pandémie en seulement neuf mois, alors qu’il faudra plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économiques du coronavirus ». Elle déclare aussi que « les richesses accumulées par les 10 milliardaires les plus riches du monde depuis le début de la crise seraient amplement suffisantes pour éviter que quiconque sur notre planète ne sombre dans la pauvreté à cause du virus et pour financer le vaccin contre la Covid-19 pour tous ».
De l’examen détaillé de ces deux statistiques, il ressort qu’elles ne confirment en rien les conclusions qu’entend faire passer Oxfam : le « néolibéralisme » est responsable de la crise actuelle.
Sommaire
– Les riches sont devenus plus riches avec la crise ? De la nécessité de comprendre la nature du patrimoine des milliardaires
– Pourquoi leur patrimoine « boursier » s’est-il envolé durant la crise ?
– Utiliser la richesse des milliardaires pour vacciner le monde entier ?
– Se sortir de la crise en relançant l’activité
Les riches sont devenus plus riches avec la crise ? De la nécessité de comprendre la nature du patrimoine des milliardaires
Les deux statistiques évoquées précédemment n’ont pas de sens économique. Elles résultent d’une confusion assez répandue lorsqu’on évoque le patrimoine des grandes fortunes mondiales, en mettant sur le même plan ce que l’on pourrait appeler le patrimoine « boursier » et le patrimoine « réel ». Or, les actifs constitutifs de ces deux patrimoines sont de nature bien différente.
Le patrimoine « réel » est constitué d’actifs tels que le cash, le solde du compte en banque, les biens immobiliers, les œuvres d’art, etc. Bref, de l’ensemble des actifs qui peuvent être achetés, vendus, gagnés ou dépensés dans l’économie réelle.
Le patrimoine « boursier », lui, est constitué de l’ensemble des actifs provenant de la bourse (principalement des actions, c’est à dire des parts dans une ou plusieurs entreprises). Or, contrairement aux actifs « réels », les actifs « boursiers » n’ont pas de valeur immédiate dans l’économie réelle, ils ne peuvent servir facilement de monnaie d’échange, surtout lorsqu’il ne s’agit pas de placements financiers et diversifiés, mais de portefeuilles de participations donnant plus ou moins le contrôle de sociétés cotées. En réalité, la valeur de l’action d’une entreprise n’est qu’une estimation (qui fluctue en temps réel) de la valeur de cette entreprise et elle est déterminée par le comportement des acteurs financiers. Une action cotée à 10 euros par exemple n’équivaut pas à un billet de 10 euros.
Ainsi, additionner le patrimoine « boursier » et le patrimoine « réel » d’un individu pour calculer sa richesse revient à additionner deux valeurs bien différentes.
Pourquoi est-ce important ?
Il est essentiel d’avoir cette distinction technique en tête car dans les chiffres fournis par Oxfam, qui reprend les données du célèbre classement des fortunes du magazine Forbes, les deux types de patrimoine sont comptabilisés de la même manière.
Or, la presque totalité (entre 90 et 99%) du patrimoine des plus grandes fortunes du monde est un patrimoine « boursier ». Situation logique, puisque les plus riches de ce monde sont en général les fondateurs (et donc principaux actionnaires) des entreprises avec le plus de capitalisation boursière (par exemple, Elon Musk avec Tesla, Jeff Bezos avec Amazon, Bill Gates et Microsoft, etc…).
Lorsque le rapport Oxfam se base sur la fortune des milliardaires sans distinguer patrimoine « réel » et patrimoine « boursier », tous les raisonnements qu’elle élabore ensuite sont dénués de sens.
Dire que les riches se sont enrichis grâce à la crise est une assertion tronquée : c’est leur patrimoine « boursier » qui a augmenté. Il est vrai que la valeur des actions des entreprises de la plupart des milliardaires, après avoir chuté est remonté, et pour certains bien plus haut qu’au niveau pré-crise. C’est notamment le cas d’Amazon (figure 1) et de Tesla (figure 2), respectivement propriétés de Jeff Bezos et Elon Musk et dénoncés dans le rapport d’Oxfam.
Pourquoi leur patrimoine « boursier » s’est-il envolé durant la crise ?
Il y a deux raisons. D’abord parce que ces entreprises ont joué un rôle important durant la crise du Covid-19. Microsoft a permis à plusieurs centaines de millions de travailleurs de continuer à travailler malgré le confinement grâce à Zoom ; Amazon a permis aux ménages confinés de continuer à s’approvisionner ; Google a permis aux petits commerces de poursuivre leur activité grâce au Click and Collect et aux plateformes de distribution, Netflix a permis de continuer à se divertir, etc.
Mais au-delà de leurs rôles respectifs durant la crise justifiant une hausse du cours en bourse, il existe une deuxième raison, plus préoccupante, à cette évolution. Une grosse partie de la hausse vertigineuse du cours en bourse de certaines entreprises s’explique par la mise en place des larges programmes de rachats de dettes menés par les banques centrales dans le but de… maintenir l’économie à flot durant la crise ! En baissant les taux d’intérêt au maximum pour garantir l’endettement exceptionnel des États, les banques centrales poussent les investisseurs en quête de rendement à se tourner massivement vers ces actions. Il y a beaucoup de choses à reprocher à ces programmes car les conséquences sur le long-terme (inflation, bulles spéculatives, endettement insoutenable, etc.) sont inconnues et seront peut-être très graves. Cependant, le déploiement des aides sociales exceptionnelles, des prêts garantis par l’État, en bref du « quoi qu’il en coûte » qui a permis aux citoyens de ne pas plonger dans la pauvreté, est uniquement possible du fait de ces programme de rachats de dettes effectués par les banques centrales ! Ainsi, l’enrichissement des milliardaires, par l’intermédiaire de la revalorisation de leur patrimoine boursier, est une conséquence des politiques de sauvetage des ménages et des entreprises. Critiquer la hausse du patrimoine « boursier » des riches tout en appelant à plus d’aides pour les plus précaires est donc un contre-sens car l’un et l’autre sont mécaniquement liés.
Utiliser la richesse des milliardaires pour vacciner le monde entier ?
Comme nous l’avons dit précédemment, confondre patrimoine « réel » et patrimoine « boursier » mène à des raisonnements fallacieux.
Oxfam affirme notamment que :
> Jeff Bezos pourrait verser une prime de 105 000 dollars à chacune des 876 000 personnes employées par Amazon avec ses bénéfices réalisés entre mars et août 2020.
> En Amérique latine et aux Caraïbes, 12,4 millions de personnes devraient sombrer dans la pauvreté extrême à cause de la crise. La fortune combinée des milliardaires de cette région engrangée sur la période serait 5 fois supérieure à la somme requise pour empêcher cela.
> Les riches Français auraient bénéficié de 175 milliards d’euros de gains, soit l’équivalent de 2 fois le budget de l’hôpital français.
> La richesse accumulée par les 10 milliardaires les plus riches du monde depuis le début de la pandémie seraient amplement suffisante pour financer le vaccin contre la Covid-19 pour tous ainsi que pour éviter que quiconque ne tombe dans la pauvreté.
À la lumière de la distinction que nous venons d’exposer entre patrimoine « réel » et patrimoine « boursier », il apparaît clairement que ces chiffres sont faux. La richesse accumulée durant la crise étant quasi exclusivement en actions, elle n’a aucune valeur immédiate dans le monde réel. Si les milliardaires souhaitaient donner la totalité du capital accumulé durant la crise, pour financer le vaccin par exemple, ils devraient vendre leurs actions, et le prix de ces dernières s’écroulerait donc mécaniquement à des prix sans doute très éloignés des sommes annoncées par Oxfam.
Se sortir de la crise en relançant l’activité
Cependant le rapport souligne un phénomène qui est malheureusement vrai, nous le savons tous : la crise du Covid-19, en mettant des centaines de millions d’individus au chômage forcé, les plonge dans une pauvreté dont ils mettront, pour certains, plusieurs années a sortir. Avec des conséquences sociales extrêmement graves.
Mais c’est la baisse d’activité résultant de la crise sanitaire qui est responsable de la pauvreté, pas le fait que les riches auraient capté l’argent des plus pauvres.
On peut donc conclure que la mise en place de mesures proposées par Oxfam, telles un plafond salarial de 100 000 livres sterling au Royaume-Uni ou plus globalement de plus fortes taxes sur les entreprises, est en totale contradiction avec ce que requiert notre économie en ce moment. Elles ralentiraient davantage l’activité économique et pénaliseraient la production. Le nivellement du revenu des entrepreneurs et la taxation des entreprises qui ont survécu ou se sont développées durant la crise aurait pour effet de réduire les investissements. En effet, la richesse accumulée par les entrepreneurs et les entreprises sert avant tout à financer les investissements futurs. C’est ce mécanisme qui permet une bonne allocation du capital dans les secteurs les plus productifs, ce qui se traduit par un dynamisme de l’emploi porté par la création de valeur. Ainsi, il faut à l’inverse tout faire pour favoriser la reprise de l’activité économique, ce qui implique de libérer les entreprises qui sont les vecteurs de cette création de valeur.
Source : IREF
Auteur : Jules Devie