La conjoncture économique française face à l’incertitude politique : inflation en baisse mais consommation stagnante

"Les participants à l'économie seront très attentifs au plan du futur gouvernement"

C'est une première depuis août 2021 : en août, l'inflation est redescendue en dessous du seuil symbolique de 2 % sur une année. Cependant, les foyers ne dépensent pas davantage et augmentent même leur niveau d'épargne. Voici un aperçu de la situation économique que devra gérer le prochain gouvernement, présenté par le directeur général de l'Insee, Jean-Luc Tavernier.

Par Frédéric SCHAEFFER, Sébastien DUMOULIN, Renaud HONORÉ

Quelle sera la condition économique de la France que le futur gouvernement héritera?

La situation économique est un peu faible mais reste tout de même favorable. L'augmentation économique est presque de 1% par an, avec bien sûr l'impact spécial des Jeux Olympiques pendant le troisième trimestre. Le secteur du commerce international aide à maintenir l'activité économique, en particulier grâce à l'industrie aéronautique, ainsi que la consommation du gouvernement. Les marges de profit des entreprises sont revenues à leur état pré-pandémie. Il n'y a aucune irrégularité dans leur condition financière, ni dans la répartition du gain économique grâce à l'ajustement salarial en cours. L'investissement est assez bas, ce qui est normal compte tenu des taux d'intérêt.

L'inflation est tombée en dessous de 2% en août. Avons-nous définitivement surmonté la crise ?

En effet, c'est la première fois depuis août 2021 que l'index des coûts français retombe sous la barre des 2% d'augmentation. Nous anticipions cette situation, mais elle se produit un peu plus vite que nous l'avions imaginé. Cette tendance est principalement due à la décélération des tarifs de l'énergie en août, en particulier à cause des prix du carburant. Cette baisse a largement compensé une montée temporaire des services probablement due à l'augmentation des coûts de l'hébergement et des transports pendant les Jeux Olympiques.

On ne devrait pas anticiper un changement dans le taux actuel de l'inflation. Bien que nous revenions à un état de choses similaire à celui d'avant, cela n'implique pas une régression des prix à leur niveau précédent. Nous conservons encore le souvenir de l'augmentation des prix qui a eu lieu précédemment.

L'inflation diminue, cependant, cela n'incite pas les familles à dépenser davantage et elles augmentent même leur niveau d'épargne. Comment peut-on comprendre cela ?

Dans un contexte où l'inflation décroît et le taux de chômage reste inférieur sur une longue période par rapport à l'ancien, on pourrait supposer que le taux d'épargne diminue. Surtout qu'il y a eu une augmentation du pouvoir d'achat des ménages, avec une croissance de 1,5% pour l'année entière de 2024. Cependant, la consommation ne bouge pas pour l'instant et le taux d'épargne reste haut. La confiance générale des ménages se rétablit très doucement après le double choc de la guerre en Ukraine et de l'inflation.

Jean-Luc Tavernier, le chef exécutif de l'Insee.AFP

L'instabilité politique actuelle n'a-t-elle pas déjà un impact sur la situation économique ?

L'incertitude n'est jamais un bon facteur pour l'investissement, que ce soit pour les particuliers ou les entreprises, qui traversent déjà une période difficile. C'est ce que révèlent nos études menées auprès des dirigeants d'entreprise. L'ambiance des affaires a subi un dur coup en juillet, en raison des risques économiques associés aux élections législatives. Elle s'est quelque peu améliorée en août, mais la situation reste précaire. Les intervenants économiques seront très attentifs au plan du futur gouvernement.

Existe-t-il une possibilité de récession économique, comme le craignent certains chefs d'entreprise ?

Il est complexe de l'exprimer clairement. Pourtant, ce serait être naïf de croire que la situation économique actuelle et les prévisions des entreprises sont indépendantes de la politique économique, qu'elle concerne le futur des réformes précédentes, les modifications du salaire minimum ou la nécessaire continuation de l'assainissement budgétaire d'une forme ou d'une autre.

L'incertitude politique nationale est exacerbée par des doutes concernant la reprise économique en Allemagne, en particulier en ce qui concerne la consommation, ce qui a un impact négatif sur l'économie française.

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Est-il encore possible que le secteur du bâtiment ralentisse et ait un impact négatif sur l'ensemble de l'économie ?

On dirait qu'on est au plus bas. Les graphiques de licences de construction et de projets de construction sont très bas, mais semblent se stabiliser. On peut espérer une petite amélioration, à condition que l'instabilité politique soit résolue.

Est-ce que l'incertitude concernant l'activité en cours a également un impact sur l'emploi ?

Absolument. Le nombre de postes salariés a connu une petite diminution au cours du deuxième trimestre, une situation qui n'avait pas eu lieu depuis une éternité. De plus, les signaux précurseurs dans ce domaine ont légèrement chuté sous leur moyenne habituelle. Avant la période estivale, l'Insee avait déjà anticipé une nette décélération dans la création d'emplois cette année.

L'augmentation du salaire minimum à 1.600 euros, préconisée par le NFP, a-t-elle déjà changé l'attitude des dirigeants d'entreprises ?

On ne peut pas encore le constater à travers les recrutements en CDI en juillet. Cependant, il est nécessaire de faire preuve de prudence. Il est possible que les sociétés aient déjà déterminé leurs plans de recrutement avant les élections législatives, qu'elles estiment que l'augmentation du SMIC est toujours incertaine ou que les modifications apportées au marché du travail rendent l'embauche moins définitive qu'auparavant à leurs yeux.

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Est-ce que la diminution de la productivité due à la Covid devrait être une autre inquiétude pour le gouvernement ?

La productivité est un facteur crucial car elle influence notre potentiel de croissance et donc notre aptitude à soutenir notre modèle social. Cependant, la productivité en France est toujours en retard d'environ 5,5 points de PIB en 2023 par rapport à sa courbe de progression avant la pandémie de Covid, une progression qui était déjà considérablement ralentie.

L'impact de la pandémie de Covid n'a pas laissé les autres nations européennes indemnes, cependant la baisse de la productivité est d'environ 1 point en Europe, ce qui met clairement en évidence l'existence de facteurs spécifiques à la France. Cette différence de 4,5 points pour la France est loin d'être négligeable : elle équivaut à une perte de revenus de 130 milliards d'euros par an pour le PIB français !

Qu'est-ce qui explique cette particularité propre à la France ?

Dans un récent article de blog de l'Insee, nous avons identifié plusieurs facteurs clés. La croissance économique en France n'a pas été inférieure à celle d'autres pays. Cependant, elle a généré plus d'emplois : cela peut réduire la productivité d'un côté, mais d'un autre côté, cela peut ne pas être nécessairement une mauvaise chose dans un pays qui connaissait un chômage élevé.

L'essor important de l'alternance ces dernières années et, à une échelle moindre, de l'auto-entrepreneuriat (micro-entrepreneurs) sont en partie responsables de cette baisse de productivité.

Existe-t-il d'autres justifications ?

Une particularité française est la tendance à conserver des employés dans certains domaines, même en cas de baisse de l'activité. Par exemple, dans l'énergie, où la production a été affectée par la fermeture de centrales nucléaires, l'industrie aéronautique, où des problèmes d'approvisionnement entravent toujours la reprise normale, le commerce et certaines activités non commerciales, notamment dans le secteur de la santé.

Dans les centres médicaux, le recrutement a persisté à augmenter malgré la pandémie de Covid, tandis que le volume de travail a diminué.

Ces éléments sont-ils temporaires ou est-il possible de récupérer les augmentations de productivité perdues?

La crise Covid a entraîné une perte de productivité dont nous ne nous remettrons probablement pas. Il est fort probable que la France ne retrouve pas son niveau de productivité d'avant la crise.

Par contre, on ne devrait pas voir une baisse continue de la productivité à l'avenir et il est probable que l'amélioration de la productivité reprenne son allure d'avant la crise. Bien que la productivité en France ait baissé, nous supposons qu'elle devrait retrouver son rythme pré-crise.

Donc, la différence avec le reste du monde est inévitable ?

Il n'est pas certain que les stratégies d'innovation et les initiatives visant à favoriser la réindustrialisation aient un impact. En fin de compte, cela nous amène également à nous interroger sur nos choix communs en France et en Europe : il peut y avoir un équilibre à trouver entre la croissance économique et la peur du risque.

Renaud Honoré, Sébastien Dumoulin et Frédéric Schaeffer

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