Apprentissage : des progrès… et des blocages

Alors que le taux de chômage des jeunes s’établit à 22,1% et est encore aggravé par la crise sanitaire, une solution semble exister : encourager l’apprentissage.
Mais pour rendre le dispositif plus efficace, il faudrait vraiment laisser la main aux entreprises.

Avec près de 500 000 élèves et étudiants en 2020, les effectifs de l’apprentissage sont en constante augmentation depuis 2016. Après une chute du dispositif dans les années 70, due notamment au fait que les jeunes voulaient absolument avoir le bac, l’apprentissage connaît un regain d’intérêt dans les années 80. Depuis Mitterrand, les gouvernements successifs tentent de remettre en valeur cette manière d’apprendre, avec diverses lois de décentralisation et d’élargissement du nombre de diplômes offerts dans ce cadre.

Sommaire

– Etat des lieux

– Financement et avantages

– Un système qui pourrait être libéralisé

– Des pistes pour améliorer le système : l’exemple allemand

Etat des lieux

Au 31 décembre 2019, la France compte 491 000 apprentis, du niveau bac pro au master, répartis dans 1 200 centres de formation des apprentis (CFA) sur tout le territoire français. De nombreux diplômes peuvent être préparés en apprentissage, c’est-à-dire en partageant le temps entre travail en entreprise et formation théorique en CFA. Le dispositif est ouvert à tout étudiant de 16 à 29 ans. Lié à par un contrat de travail à leur entreprise, les apprentis bénéficient des mêmes droits qu’un salarié, chaque contrat pouvant durer de 6 mois à 3 ans. L’apprentissage est particulièrement utilisé pour la formation à certains diplômes, comme le CAP (certificat d’aptitude professionnel), le BEP (brevet d’études professionnelles) ou encore le BTS (brevet de technicien supérieur) et par certaines filières professionnelles comme l’artisanat, la restauration, la coiffure, l’électronique, le bâtiment…
Depuis 2016, l’apprentissage connaît un nouvel essor, avec une croissance à deux chiffres en 2019 : + 16% par rapport à 2018.

Financement et avantages

Les CFA sont financés en grande partie par la taxe d’apprentissage, ainsi que par la cotisation supplémentaire à l’apprentissage. La première est due par toute entreprise payant l’impôt sur les sociétés et employant au moins un salarié. La seconde n’est due que par les sociétés de plus de 250 salariés employant au moins 5% d’apprentis. Le taux de la taxe d’apprentissage est de 0,68% de la masse salariale.
Le système est avantageux pour les entreprises comme pour les étudiants : les employeurs forment une main d’œuvre qualifiée et adaptée à leurs besoins, et les apprentis bénéficient de compétences et de savoir-faire recherchés sur le marché du travail.
Ainsi, 73% des apprentis de niveau CAP et BTS ont un emploi 7 mois après la fin de leur apprentissage, et surtout 58% d’entre eux ont un contrat stable, en CDI. Enfin, près de la moitié (44%) travaillent dans l’entreprise qui les a formés.
Le principal avantage semble donc résider dans l’insertion sur le marché du travail. Les jeunes diplômés d’un BEP ou d’un CAP connaissent un taux de chômage de 15%, contre 24% pour ceux qui sont diplômés d’un bac général. L’intérêt se mesure aussi pour les étudiants : ceux qui sont passés par une licence ou un master en apprentissage ont un taux de chômage deux fois moins élevé que leurs homologues ayant suivi un parcours scolaire (étude CEREQ).

Un système qui pourrait être libéralisé

Promulguée le 5 septembre 2018, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé l’apprentissage. L’intention était notamment de « libérer » la formation par apprentissage, en permettant aux entreprises d’ouvrir leurs propres CFA, en laissant les branches professionnelles co-construire les contenus des formations, ou encore en simplifiant la collecte de la taxe d’apprentissage.
Mais le gouvernement n’a pas pu s’empêcher de garder la main, et a donc créé France Compétences, organisme placé sous la tutelle du ministère du Travail, chargé de centraliser les ressources et de les répartir ensuite entre les différents CFA. L’institution a ainsi géré 2,8 milliards d’euros en 2019.
C’est la première limite de la loi : CFA, entreprises et chambres de commerce et d’industrie restent sous la coupe de l’Etat, qui garde aussi la main sur les financements.
Malgré tout, plusieurs entreprises ont entamé des démarches pour créer leur propres centre de formation, comme les groupes Accor, Korian, Sodexo et Adecco, qui se sont alliés pour ouvrir leur établissement spécialisé dans l’hôtellerie-restauration. Début 2020, au total, 550 demandes d’ouvertures de CFA avaient été déposées, et 60 acceptées.

Des pistes pour améliorer le système : l’exemple allemand

Source : Eurostat et Secrétariat à l’Economie suisse

Malgré la crise, l’Allemagne affiche un taux de chômage des jeunes spectaculairement bas : 6,1% en novembre 2020, contre 22,1% en France. Avec plus d’1,3 million d’apprentis, l’Allemagne est loin devant la France. Le fonctionnement est différent : l’Etat intervient très peu. Ce sont les entreprises et les branches professionnelles qui s’organisent entre elles pour construire les programmes ou proposer de nouveaux métiers, avant de les faire valider par le ministère fédéral de l’Education. L’Etat transfère donc aux représentants de la sphère économique la responsabilité de former les jeunes (principe de subsidiarité).
La partie théorique de la formation « en alternance » est assumée par les Länder qui accueillent les apprentis un à deux jours par semaine en écoles professionnelles, établissements que l’on peut rapprocher des centres de formation d’apprentis (CFA) en France.
Mais ce modèle allemand est-il transposable en France ? Il faudrait pour cela changer radicalement la mentalité française à l’égard de l’éducation. Dans l’Hexagone, les objectifs du 20ème siècle voulant « 80% de bacheliers dans une classe d’âge » ont amené de nombreux élèves à aller jusqu’au bac sans réelle envie ou objectif de formation universitaire. L’apprentissage, et les formations professionnelles de manière générale, restent des « voies de garage », où l’on envoie les élèves les moins performants de l’enseignement général, ce qui les fait souvent considérer comme des ratés. Au contraire en Allemagne, l’apprentissage est une voie d’excellence, valorisée socialement. Alors que la France est avant tout guidée par une logique de diplômes, nos voisins allemands cherchent à donner un métier aux étudiants.

L’IREF recommande donc une plus grande liberté et une plus large autonomie des acteurs économiques dans la formation professionnelle, sans que l’Etat entrave les initiatives. Plus globalement, la société doit évoluer vers une plus grande valorisation des filières professionnelles et une désacralisation du baccalauréat comme des études universitaires.

Sources : 

https://travail-emploi.gouv.fr/actu …

https://journals.openedition.org/fo …

Source : IREF – Valentine Rault